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Espace-Forum des Enseignants-chercheurs algériens
24 décembre 2015

Université algérienne: Etat des lieux sans concession...dressé par un ministre en activité !

 

Si médiocrité il y a, c’est bien celle du système dans lequel évoluent les universitaires

Houda-Imane Faraoun. Ministre de la poste et des technologies de l’information et de la communication Si médiocrité il y a, c’est bien celle du système dans lequel évoluent les universitaires

Feraoun

 

Imane Houda Faraoun s’exprime en tant qu’universitaire dans cet entretien accordé à El Watan-Etudiant sur des questions liées à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique. Ce qui semble de prime abord éloigné du ressort de son ministère, mais il paraît que «tout ce qui monte converge», selon la jeune physicienne de formation, très portée sur la «philosophie». La ministre préconise que dans certaines circonstances, il convient mieux de rester assez «terre à terre», une vision pragmatique qui, selon elle, permet de rester réaliste et proche du terrain.

En tant qu’universitaire, que pensez-vous de l’état de l’université algérienne que la communauté ne cesse de dénoncer ?

En tant qu’universitaire, j’ai été personnellement interpellée par le constat que vous faites sur l’ampleur qu’ont pris les machinations dans le domaine des publications scientifiques. Vous aviez révélé plusieurs graves manquements concernant la gestion de carrière des universitaires, le plagiat, la publication dans des revues prédatrices, autant de dysfonctionnements qu’en réalité tout le monde dans la sphère universitaire connaît, mais que la communauté a encore du mal à solutionner faut d’une bonne communication justement. Je peux vous assurer que la volonté et les efforts pour parer à ces manquements existent et sont déjà en cours depuis plusieurs années. A ce sujet, bien des débats ont eu lieu, moi-même j’y ai pris part, et nombre d’universitaires et de responsables, notamment de la direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique y travaillent depuis assez longtemps avec le ministère de tutelle ; des dispositions, notamment pour moraliser la vie scientifique, et mettre de l’ordre dans le champ de publication existent tout autant que la volonté de raviver les revues nationales. Mais, à mon sens, ces débats doivent encore être élargis à tous ceux en droit d’y apporter leur contribution. Il ne sert à rien de se tirer dessus ni de céder aux controverses réductrices qui se focalisent sur les personnes, car il s’agit d’un enjeu national qui dépasse les ambitions personnelles. Toute réserve gardée, je vous exprime honnêtement et pour le plaisir de prendre part au débat mes convictions propres qui ne sont en effet que les idées que je partage avec un certain nombre de mes collègues universitaires. Pas plus en tant que ministre qu’en tant que scientifique et ancienne universitaire, un milieu que je pourrais éventuellement réintégrer, mais ce n’est pas uniquement dans cette perspective que je m’en soucie personnellement. Nous avons tous intérêt à nous en soucier, car le système d’enseignement supérieur et de la recherche scientifique est un enjeu angulaire et vital pour le développement. Je considère qu’il est un bon signe de maturité et de conscience intellectuelle que la presse s’en empare en connaissance de cause et sache vulgariser au grand public ces questions complexes, mais desquelles dépend le devenir de tous. Quand vous rapportez dans des articles de presse de flagrants manquements à l’éthique et un certain état de déliquescence des institutions universitaires, cela a de quoi alarmer. Mais cela devrait plus interpeller ; j’éprouve du respect pour les médias responsables qui savent ouvrir les vrais débats et ouvrent par la même l’espace et donnent l’occasion de s’exprimer et d’échanger. J’ai personnellement l’intime conviction que c’est par la bonne communication que l’on arrivera à régler nos problèmes.

Plusieurs experts et intervenants sur la scène universitaire, parfois de grade professoral, déplorent la médiocrité des travaux scientifiques…

Malheureusement, en l’état actuel du système d’évaluation, même le passage au grade de professeur se fait sans évaluation effective des capacités réelles du postulant. Moi-même j’aurais souhaité que mes compétences personnelles en matière d’enseignement et mes capacités à mener des recherches aient été plus sévèrement jugées ; le système actuel fait que ce passage n’est qu’une formalité conditionnée, entres autres, par le nombre de publications qui ne peuvent en aucun cas refléter la qualité. Dire que nos chercheurs sont des médiocres est faux, je dirais même qu’il est attentatoire à la dignité de tous et il serait suicidaire de désigner notre élite à la vindicte. Si médiocrité il y a, il faut dire que c’est bien celle du système dans lequel ils évoluent ; de ce point de vue, une démarche de réforme responsable nous permettra de racheter le système sans pour autant décimer notre potentiel scientifique. Nos universités comptent de très brillants scientifiques qui fournissent énormément d’efforts, mais s’il leur arrive de baisser les bras dans un environnement mal adapté et dans certaines situations, il faut l’avouer même hostile à leur émancipation, cela ne doit pas être perçu comme une forfaiture de ces derniers. Un scientifique en déperdition n’est pas un faussaire, il est plutôt une victime car il n’est en fait que le maillon faible dans un maillage extrêmement complexe dans lequel il ne détient pas assez de prérogatives ni assez de moyens de communication pour se manifester. Personnellement, durant ma carrière universitaire j’avais connu des lumières, de brillants scientifiques, mais qui, de guerre lasse, avaient fini par céder face aux innombrables contraintes à leurs ambitions scientifiques et si certains avaient eu l’opportunité de changer de carrière d’autres ont eu le courage et les moyens pour démissionner, beaucoup finissent, hélas, par se «normaliser» et rentrer dans le moule de la médiocrité ambiante. Mais peut-on leur en vouloir ? On ne peut pas non plus les sommer de se débrouiller quel que soit l’environnement pour être bons et crier au scandale au moindre manquement à la rigueur : ce serait un bien mauvais message et cela ne résoudra pas le problème. Il ne faut pas croire que le système tel qu’il est serait le résultat prémédité d’une volonté de casser l’université.

Donc, c’est l’effet de tout un système déliquescent ?

Si le système est effectivement déliquescent, il serait faux et contreproductif de faire porter le chapeau à un tel ou groupe de personnes en particulier d’identifier le mal et le dysfonctionnement, mais nous devons garder la lucidité que cet état de fait est conséquent à une accumulation historique d’altérations qui ont corrompu et qui corrompent toujours le champ du savoir. Il faut avoir la lucidité d’admettre que les crises et les dysfonctionnements auxquels nous devons faire face sont les séquelles de l’histoire récente de notre pays, un héritage commun avec sa dimension tragique, certes, mais aussi avec des avancées qu’il faut admettre. Afficher la volonté de s’en émanciper ne se fera pas par les bons discours et encore moins dans l’affrontement et le dénigrement.

Qu’en sera-t-il des publications universitaires ?

On ne publie pas pour publier, et il serait mensonger de prétendre qu’on le fait pour l’amour du savoir. La publication est certes essentielle, mais elle n’est pas une fin en soi, car il faut que la recherche qui la soustend profite concrètement au développement du pays. Et si certaines publications algériennes sont effectivement inutiles et médiocres, bien d’autres sont excellentes, mais paradoxalement pas plus utiles. Il est en fait dommageable que tant de dépenses profitent aux économies étrangères sans être du moindre secours pour remédier à nos contraintes de développement local. Ainsi, au sujet de l’épineuse problématique de la publication scientifique, il convient de nuancer l’application de cette approche dans le contexte national. La mise en valeur de la publication, bien indexée, est certes un indicateur favorable à un meilleur positionnement sur les classements internationaux, mais quel intérêt aurions-nous à fabriquer une notoriété virtuelle quand on sait pertinemment que nos établissements ne sont pas encore en mesure de venir à bout de nos soucis les plus élémentaires ? Bien qu’elle soit un indicateur appréciable de performance, la publication scientifique n’aura d’intérêt qu’à la condition d’être inscrite dans un contexte fonctionnel performant. On ne peut pas calquer les modèles de pays étrangers où il existe effectivement une recherche appliquée. Personnellement, je me rangerais volontiers du côté des partisans de la suppression de la publication comme indicateur de valeur dans la gestion de la carrière et la promotion. Cela redonnera à l’acte de publier sa vocation : donner une visibilité aux travaux de chacun. Mais s’agissant de la gestion de carrière, il convient de réfléchir à un meilleur dispositif d’évaluation qui permette de prodiguer d’une part le bon enseignement aux étudiants et, d’autre part, soutienne en même temps le développement de nos scientifiques selon des approches d’évaluation équitable par leurs pairs.

Quel serait donc le rôle des chercheurs en Algérie ?

Il faut avoir l’humilité d’avouer que les scientifiques en Algérie ne sont pas sommés de décrocher les étoiles ni de réinventer la roue. La production du savoir et la recherche sont un processus complexe et délicat, certes, mais il suffit de l’envisager simplement, comme une recherche de solutions. Tout en étant inscrit dans le contexte global – mondial – de la marche de la science. Il serait plus rentable pour un pays tel que le nôtre d’opter – non pas par modestie plutôt par réalisme – pour une approche plutôt «terre-à-terre» non pas dans le sens péjoratif du terme bien entendu, mais pragmatiquement ; en d’autres termes, être plus proche de la réalité du terrain. Une approche scientifique qui s’applique à solutionner nos problèmes de tous les jours, des solutions pour parer aux insuffisances qui nous font perdre de l’argent bien avant ceux censés prétendument nous en faire gagner plus. A ce propos, pour revenir à la publication scientifique, il faudrait d’abord souligner son importance sans jamais la dénigrer. Il convient de la considérer à sa juste valeur et dans le contexte dans lequel elle intervient. Cette question n’est pas propre à notre pays, elle reste problématique partout dans le monde. Personnellement, à l’époque où je poursuivais mon cursus en France, nous étions confrontés également à ce genre de modalités ; le CNRS, par exemple, exige un nombre minimum de publications effectives avant d’allouer ses subventions et d’attribuer son label. A la différence qu’à l’étranger, la recherche appliquée existe bien et plus encore par l’aspect d’une dynamique formidable ; les entreprises industrielles y dirigent des laboratoires de recherche, la recherche et le développement (R&D) sont une réalité et bien d’autres formes contractuelles avec les universités existent. Il faut avouer que notre environnement est encore loin de cette disposition et on ne peut pas encore prétendre rejoindre ce modèle sans une politique formellement orientée vers la recherche appliquée. Une telle politique s’attellera à favoriser cette orientation par des mesures concrètes, comme pour le cas de l’accompagnement de la téléphonie mobile, par exemple, la détaxation que l’Etat a encore maintenue cette année doit bénéficier à un sérieux engagement dans l’évolution des services par le développement des technologies y afférentes. Un éventuel essor entrepreneurial dans ce sens impulsera certainement cette recherche appliquée et inversement.Pour revenir à la problématique de la qualité ou tout bonnement à l’opportunité des publications scientifiques, il convient également de mettre en place d’autres mesures afin de réorienter ces efforts vers la recherche appliquée. Une des mesures susceptible de favoriser l’émergence de la recherche appliquée dans la sphère universitaire passerait éventuellement par la suppression de l’obligation systématique de la publication scientifique tous azimuts, qui s’avère dans bien des cas contreproductive. Inciter les chercheurs à recentrer leur efforts sur la sphère économique – ce qui serait au passage plus rentable pour leur carrière –serait susceptible de leur ouvrir des champs de travail bien plus passionnants, mais surtout aboutissant à des résultats utiles. Ce qui fait la fierté de tout scientifique et motive son labeur.

Selon vous, comment arrivera-t-on à établir le lien entre la recherche scientifique et la sphère économique ?

Il faut reconnaître que bien des avancées ont été enregistrées concernant la loi sur le statut des chercheurs, à la suite de longs débats et grâce à la bonne volonté d’un grand nombre de membres de la communauté universitaire. Mais il faut reconnaître aussi qu’il reste beaucoup à faire. Le plus grand potentiel de nos chercheurs est cloîtré dans l’université. Il nous faut reconsidérer pragmatiquement le statut de l’enseignant chercheur et son rôle, également celui du chercheur permanent, ou celui, pourquoi pas, indépendant. Il nous faut réfléchir tous ensemble et approfondir la réflexion sur d’autres modèles, en s’appuyant sur les expériences d’autrui, certes, mais en se référant à nos besoins immédiats. Pour notre part, je vous assure que nous travaillons déjà selon cette approche dans le domaine des TIC ; nous envisageons des scénarios en mettant en expérimentation des mécanismes nouveaux en termes contractuel de recrutement de chercheurs en entreprise. Mais pour que cela aboutisse à des résultats performants, comme dans toute expérimentation scientifique, c’est à la lumière des résultats qu’on tranche ; dans ce cas, la manière adéquate d’asseoir le modèle et le cadre juridique le plus approprié. Au ministère de la Poste et des TIC, nous avons une volonté réelle d’impulser le recherche-développement dans ce secteur. Notre cible, se sont des profils hautement spécialisés, orientés vers des problématiques clairement identifiées. Nous restons toujours à la recherche du cadre contractuel adéquat dans ce genre de partenariat. A titre d’exemple nous venons, tout à notre avantage, de débaucher un jeune chercheur algérien pourtant bien établi à l’étranger, qui évolue en entreprise spécialisée dans la recherche et le développement ; nous l’avons engagé en CDD. Nous lui avons confié une importante mission de recherche spécifique ; à la fin de sa mission, il sera libre de poursuivre sa carrière ailleurs. Mais le temps où il sera à notre disposition, nous ferons en sorte de le garder le plus longtemps pour tirer le maximum de son savoir-faire. Ainsi, l’évolution du secteur va de pair avec l’évolution de la législation et du développement des technologies, de la compétitivité des entités économiques privés et publiques. De la même manière continuelle, notre réflexion doit rester en mouvement pour suivre toutes ces dynamiques et apporter les solutions en temps opportun. Je vous ai cité le cas de ce jeune homme simplement, à titre d’illustration d’un modèle de recherche sectoriel qui servira certainement dans les TIC, mais qui pourra également être transposé dans l’intérêt d’autres secteurs un jour. Personnellement, je reste très proche du milieu universitaire où je compte le plus grand nombre de mes amis ; je m’en inspire toujours et j’y trouve des ressources, notamment à la faveur de la tendance mondiale à l’internalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche qui favorise la coopération internationale et la mise en réseau de programmes de recherche régionaux. Le pense que nos efforts devront être systématiquement orientés vers des champs d’application clairement identifiés. Et pareillement concernant la sphère économique par la mise en oeuvre de mécanismes similaires qui permettent un réel transfert technologique. Nous devons nous y atteler sans fausse prétention, certes, mais résolument avec de grandes ambitions.

Bio express

Houda Imène Faraoun est née le 16 juin 1979 à Sidi Bel Abbès. Actuelle ministre de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication, elle est aussi chercheure et physicienne. Titulaire d’un DES en physique de l’Université de Sidi Bel Abbès en 1999, puis un Magister, un doctorat dans la même université en 2001, elle obtient en 2005 un doctorat en sciences pour ingénieur de l’Université de Technologie de Belfort (France). Ayant décroché son habilitation scientifique universitaire de l’Université de Tlemcen en 2008, Houda Imène Faraoun obtient le grade de Professeur en 2013. De son expérience professionnelle, elle active en tant qu’enseignante chercheure à l’Université de Tlemcen de 2006 à 2011. Puis, directrice générale de l’Agence nationale pour le Développement de la Recherche universitaire, 2011-2012. Et ensuite directrice générale de l’Agence Thématique de Recherche en sciences et Technologie, 2012-2015 avant d’occuper son poste de ministre des PTIC. Mohamed Staifi & Zouheir Ait Mouhoub © El

Watan du 23 Décembre 2015

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Commentaires
M
Que pense le ministre de l'enseignement supérieur de l'état des lieux du ministère des PTIC ?
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M
C est bien d avouer une verite amere mais il serait tres bien de ne pas cautionner cette mediocrite. Il etait preferable de demissionner au lieu de se lamenter. Elle fait partie de ce systeme encourageant la mediocrite.
Répondre
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