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Espace-Forum des Enseignants-chercheurs algériens
22 décembre 2016

Du rififi à l'université d'El Tarf

 

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Une affaire rocambolesque vient de secouer le paisible campus de la wilaya d’El Tarf.

Chantage, magouilles, jeux de pouvoir, autoritarisme rythment le quotidien et la gestion des affaires de l’université. Comme toujours, ce sont les étudiants qui en payent les frais. Retour sur une affaire qui défraie la chronique à l’est du pays.

C’est à n’y rien comprendre. Cette lamentable affaire du département de lettres anglaises de l’université Chadli Bendjedid d’El Tarf fait les choux gras de la presse locale, alimente les conversations, provoque des mouvements de protestation estudiantins et, bien entendu, des réunions, des rapports, des lettres. Ces rumeurs sont difficiles à vérifier.

Le ministère de tutelle n’a pas réagi. On parle d’une commission ministérielle, mais elle n’est pas encore sur le terrain. Coïncidence, alors que nous faisions notre enquête auprès des enseignants, des étudiants et de l’administration, nous avons appris le départ impromptu, annoncé par un télégramme laconique du ministère, de Siab Rachid, le recteur, dans le cadre d’une permutation avec son homologue de Khenchela.

Les faits. Bien après la rentrée universitaire, vers la mi-octobre, des étudiants titulaires d’une attestation de succès de l’année précédente et d’un certificat de réinscription de l’année en cours apprennent, d’abord par la rumeur ensuite par voie d’affichage, qu’ils sont «rétrogradés», pour utiliser leur langage. En fait, leur réinscription n’est plus valable et ils doivent refaire le niveau précédent. On leur même délivré un certificat de rétrogradation. Stupéfaction générale !

Bidouillage des résultats des délibérations

Il s’agit d’une bonne dizaine d’étudiants en 2e année de licence passés en 3e année, des étudiants de 3e année passés en mastère 1 et, cerise sur le gâteau, le cas d’un étudiant passé de la 2° année directement en mastère 1 sans avoir suivi le cursus de la 3e année et la licence !

Une affaire inextricable tant les irrégularités s’accumulent, les responsabilités sont diluées, les témoignages volontairement imprécis pour ne pas dire fallacieux et la fuite en avant des responsables qui ont cette détestable manie de vouloir camoufler leurs erreurs par d’autres plus graves encore.

Il semblerait que le problème majeur soit survenu lors des délibérations des jurys de l’année précédente. Comme cela se fait depuis toujours, ils se sont réunis, mais pas nécessairement avec la présence de tous les enseignants. Une pratique courante dans nos universités, où les équipes pédagogiques sont le plus souvent soudées et se font confiance. C’est différent s’il y a conflit et il semblerait qu’il y en ait eu un à l’origine de cette affaire : celui qui opposait la chef de département de l’époque à des enseignants qui se sont divisés en clans pour ou contre la cheftaine.

«Il y a eu bidouillage des résultats sur les ordinateurs», affirment des enseignants. Des notes ont été falsifiées. On évoque un cas particulier dont la moyenne annuelle est passée de 01,5 à 10,5/20. Dans d’autres cas, on évoque des extorsions de fonds et du chantage. On parle de la somme de 850 000 DA qui aurait été versée par des parents et d’un responsable de l’administration qui a exigé une montre Rolex coûtant 240 000 DA.

Les PV de délibération classiques, sur registre, il n’y en a jamais eu au département de langues anglaises. Les enseignants nous apprennent que ce n’est que le 23 novembre 2016 que le vice-recteur de la pédagogie a exigé d’eux qu’ils les signent et valident pour finaliser les délibérations en attente, ce qui est une irrégularité de taille. Sur cette question, nous avons appris que ces professeurs n’avaient pas répondu aux multiples convocations qui leur ont été adressées, ce qu’ils réfutent catégoriquement. «Cela s’est toujours passé de la sorte durant au moins les cinq dernières années.»

Des menaces contre les réfractaires

Avant cet épisode, le chef de département installé à la rentrée avait provoqué une réunion, le 16 octobre, et les enseignants qui s’y sont rendus pensaient qu’elle concernerait une recherche de solution à l’affaire qui commençait à prendre le l’ampleur. Mais c’est tout le contraire qui s’est passé : on leur a demandé de valider le «bidouillage» en acceptant les modifications apportées à leurs notes.

Certains professeurs ont refusé catégoriquement. Et c’est le divorce. Si certains ont refusé de cautionner cette manipulation, d’autres ont accepté et le chef de département a alors délivré alors les attestations de succès et les certificats de réinscription, dont celle de Rouchaï Racha que nous avons contacté à Dubaï où il se trouve actuellement. Il a été malade une bonne partie du second semestre de l’année précédente et il avait régularisé sa situation par le dépôt d’un dossier médical en bonne et due forme, qui été égaré. Ses proches ont fait les réclamations nécessaires lorsqu’il a été informé des zéros obtenus à tous les modules pour «absences non justifiées».

On les a rassurés et il a obtenu sa réinscription en 3e année avant que l’administration ne se ravise et le rétrograde. Aujourd’hui, comme ses camarades, il se dit l’objet de menaces diverses. Il n’a pas l’intention de laisser faire et envisage de recourir à la justice. Il est rejoint par d’autres parents d’étudiants qui nous ont contactés pour nous  apprendre que des plaintes ont déposées auprès du procureur de la République d’El Tarf. Les enseignants tiennent tête aussi. Des rapports ont également été adressés à la tutelle.

L’administration se dit sereine

Coté administration, le vice-rectorat a été chargé de mener une enquête minutieuse, qui tourné cours. L’autoritarisme a pris le pas sur le dialogue lors d’une ultime réunion tenue le 23 novembre, qui s’est terminée en affrontements et en éclats de voix. On a cherché à faire signer aux enseignants un document — que nous détenons — qui leur impute l’entière responsabilité de l’affaire en acceptant de valider des délibérations suspectes 5 mois après la remise des notes.

L’administration de l’université, contactée, se dit sereine à propos cette affaire. Les responsabilités sont partagées entre le département, les enseignants et les étudiants. Une enquête interne aurait été menée à propos des PV de délibération et jusqu’à la vérification des notes sur les copies. Pour l’administration, il s’agit de revenir sur les erreurs commises dont les responsables seront sanctionnés. Mais en revenant à leurs notes sur les copies, des étudiants seront forcément rétrogradés. S’ils ne rejoignent pas les cours, ils seront considérés comme absents et risquent donc une traduction devant le conseil de discipline. Absences qui, soit dit en passant, ne relèvent pas du conseil de discipline. Les professeurs refusant de valider les PV de l’année dernière sont considérés comme ayant failli à leurs obligations pédagogiques et sont également menacés d’être traduits devant le conseil de discipline.

Trois aspects qui montrent l’indigence de l’université algérienne à travers cette affaire qui, pour les positions arrêtées des uns et des autres, va certainement être poussée au pourrissement, surtout si la justice et ses lenteurs s’en mêlent. La gestion de la pédagogie et le suivi du cursus des étudiants, malgré des règles bien établies, sont laissés à l’humeur des patrons. Les pratiques douteuses et les malversations en tous genres se multiplient pour tirer parti d’une situation de pouvoir : extorsion, chantage, corruption, harcèlement, falsifications… et pour finir par les plus ruineuses de toutes, l’impéritie et la fuite en avant.

Slim Sadki (El Watan, 21 Décembre 2016)
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